30 août 2016

Vie de grosse

"Cher lecteur,

Lorsque j’eus dégusté mon premier bol de nouilles, goûtu et garni à souhait pour 1€50, j’attendis presque le contrecoup du destin ; crampes d’estomac, glougloutements, hennissements hystériques de ma raison m’intimant de m’enfuir rapidement de ce faux paradis gastronomique.
J’attendis en vain.

On ne peut pas mourir de faim à Pékin, vois-tu. 
Car il y a de quoi manger partout, à toutes heures, aux endroits les plus incongrus, pour tous les prix, mais surtout pour pas cher; et quel que soit l’état du boui-boui douteux dans lequel tu achètes ton tofu mariné, ton palais en sera ravi.
Chaque sous-sol ou ruelle isolée est une mission d’exploration, et plus tu t’éloignes des endroits fréquentés par les touristes occidentaux, plus tu es susceptible de tomber sur un endroit magique, où tu peux te poser et profiter du charmant sens du service à la chinoise (IRONY SPOTTED). Comme ici, dans un énième sous-sol magique à Lianmaqiao, non loin de l’ambassade française, où l’on se croirait dans un remake asiatique du Secret de Terabithia, tellement c’est féerique. J’y ai redécouvert l’aubergine, un légume que j’aimais sans avoir vraiment cherché à exploiter son potentiel. Une bouchée miséricordieuse m'a fait remarqué à quel point ma vie était terne et sans saveur avant ces aubergines. Je veux dire, mate moi ça. C'est beau. Et au goût, on n’est pas loin de l’orgasme gustatif. 
Vraiment.

Manger bon et pas cher à Pékin est une question d’opportunités. Il faut avoir du flair. S’engager au hasard dans une file d’échoppe de fortune pour goûter les meilleurs beignets vapeurs de ta vie, ou sympathiser avec les bonnes personnes, qui sauront te faire profiter de leurs adresses secrètes. 
Mes aventures culinaires à Pékin m'ont fait remarqué à quel point on se fait profondément entuber dans les restos chinois en France, où l'offre va des contrefaçons de nems vietnamiennes au sacro-saint canard laqué, ne représentant même pas 1% de tout ce que l'on peut trouver ici. 

Ne me déteste pas pour la série de clichés qui suit, lecteur. C’était plus fort que moi.

Je devrais me lancer dans la photographie gastronomique."

XOXO







25 août 2016

Selfie ta mère

''Cher lecteur,

En tant qu’étranger, nous tentons, presque instinctivement lorsque nous mettons un pied sur un territoire à mille lieux de notre propre culture, de découvrir du mieux que l’on peut chaque recoins cités dans la catégorie must-see des Routards et autres Lonely Planet, non sans quelques petites arnaques et péripéties au passage.

Ainsi, moi, fille pourrie en quête d’aventures inconfortables, ai décidé de troquer jupette et ombrelle contre basket et photographie sauvage, tu sais, celle où ton appareil va partager ta sueur, tes chutes, ton insolation, avant de te faire comprendre qu’il faut pas trop le prendre pour un con non plus, et que tu vas devoir te démerder sans lui ces douze prochaines heures.




 Je n’ai pas escaladé la Grande Muraille. J’ai SUBI la Grande Muraille.
J’ai subi la hauteur incohérente de ses marches, la méchanceté avec laquelle me narguait son sommet, le brouillard de pollution qui finit d’anéantir mes illusions naïves de cliché légendaire.
Et tu sais, dans ce genre de moment-là, lecteur, où tes nerfs sont fatigués, chamboulés, il faut abruptement bêtement et simplement…  fermer les yeux.
Respirer (l’air pollué). S’élever, au-delà même de l’endroit (instable) où tes pieds se tiennent. Savourer cette brise inconnue te susurrer son histoire millénaire…
Respirer. S’élever. Savourer
Respirer. S’élever. Savourer.
Puis rouvrir les yeux. Et là. Waouh. Même tes cloques aux pieds tu les oublies.

Jusqu’à ce qu’un ~HAHAHA SELFIE TIIIIME~ strident et décomplexé te parvienne du 12e groupe de Tour Operator que tu croises de la journée ; tu sais, ceux qui montent vite, redescendent vite, capturent une mise en scène exagérée de chaque pas et chaque goutte de sueur qui habiteront leurs débardeurs sponsorisés, avant de les poster sur tous les réseaux sociaux histoire de montrer à leurs contacts que I did it bitches, back to the shopping mall on Monday, Burger King au pied de la Big mumu on est posay. Sans être passés par une once du flow plus ou moins intense que tu viens de vivre.

A l’instar de la Grande Muraille, le Palais d’été m’a laissé cette impression de perle brisée; en saisir la beauté et l’énergie qui s’en dégage s’avère être une tâche ardue. Je sais qu’à l’avenir, je serais fort déçue si toutes les merveilles d’Histoire et d’architecture que je suis amenée à découvrir ont ainsi vendu leurs âmes au tourisme de masse.
J’ai essayé, en symbiose avec 93000 autres touristes, de te saisir la beauté du truc, parce qu’il faut le dire, c’est vraiment magnifique.
 
On vit dans ce monde-là. Où l’on peut facilement passer à côté de nos vies, car on les regarde via un écran de smartphone. Où l’on peut passer à côté d’un recul bienveillant sur soi-même, se concentrant sur le fantôme à peine discernable de ces montagnes qui t’ont, quand même, couté dix milles bons kilomètres de distance de chez toi.
Bien sûr, je n’ai rien contre les selfies. J’aime les selfies. Les selfies c’est cool ! Lors d’un good-hair day, il est presque impératif d’en prendre un.
Mais.
Ne sommes-nous pas déjà assez esclaves ? Du temps, du travail, des gens, de la peur qui paralyse nos désirs, de notre propre culture parfois, qui nous emprisonne…
Notre mémoire est bien plus douce et subtile que l’espace de stockage de notre téléphone portable. Elle est plus précieuse encore qu’une collection de clichés stériles.
Alors je lève la tête, j’ouvre les yeux et j’inspire.''

XOXO